jeudi 27 mars 2008

Mercredi 30 Janvier


Nous avons négocié hier soir la journée de visite d'Angkor avec un chauffeur de tuk tuk sympathique. Le véhicule est constitué d'une moto avec remorque couverte à quatre places.

Départ dès sept heures trente…

Le site est à un quart d'heure de l'hôtel, l'entrée de vingt dollars par jour et par personne. Nous sommes photographiés comme à la douane, afin d'établir sur le champ un ticket, carte d'entrée, personnalisé.

Déjà les bus arrivent, nombreux. Notre chauffeur nous propose d'éviter le premier temple, le plus visité, Angkor Vat; afin d'éviter la foule qui s'agglutine, et de le garder pour ce soir. Nous filons donc à Angkor Thom qui renferme le Bayon, le Baphuon et le Phimeanakas, temple montagne en cours de restauration.

Chaque groupe de temples est entouré d'une enceinte aux portes majestueuses. Avec leur cornac habillé de vert, des éléphants, une ridicule et bien instable plateforme sur le dos, attendent patiemment les touristes.

Le Bayon est dominé de visages de pierre immenses sur les diverses faces de ses tours. Un petit groupe en tenue mythologique ou théâtrale: démons, singes, danseuses et divinités, nous invite à la photo. En bons touristes, nous jouerons le jeu et paierons la somme demandée.

Les nombreux temples que nous visitons dix heures durant se mélangent un peu dans notre tête, d'autant que nous n'avons pris aucun guide. Nous gardons le souvenir d'enfilades et de croisées de sombres couloirs aux portes successives et aux seuils surélevés. Tous ces piliers massifs, aux pierres souvent disjointes, sont recouverts de bas reliefs, les apsaras, danseuses graciles aux seins ronds et nus, d'animaux, de motifs floraux et géométriques dans lesquels se glissent de petits personnages. Et encore et toujours ces visages de bouddhas sérieux, yeux clos, au sourire intérieur et mystérieux.

Un autre temple, le Ta Keo, nous invite à gravir ses marches usées, hautes, étroites et rendues glissantes par le sable qui les recouvre. Un panneau nous rappelle que cette escalade est à nos risques et périls. La façade est très raide et nous songeons déjà à la descente qui sera vertigineuse. Mais l'envie est trop forte. A quatre pattes nous arrivons au premier pallier, puis au second, et il n'y a plus aucune raison de s'arrêter là. Au troisième et dernier niveau, il faut reconnaître que nous sommes payés de nos efforts: la vue est superbe et d'autant plus impressionnante qu'il n'y a nulle part, sur tous ces temples, de barrières ou de gardes fous, ce qui nuirait à la pureté des lignes. Avant d'entreprendre la périlleuse descente, nous faisons une offrande au petit bouddha caché au cœur des pierres et allumons une baguette d'encens.

Et voici Ta Prohm, le plus émouvant à notre goût. Ici c'est la lutte sans merci entre la jungle et les monuments, une lutte de plusieurs siècles où les arbres, lentement, ont déchaussé de leurs racines reptiliennes les vieilles pierres. C'est un chaos de blocs effondrés, un mélange inextricable de minéral et de végétal. Sacrilège? Osmose? On ne sait pas, mais l'émotion nous étreint devant ce combat incessant et si lent qu'il en devient impalpable et pourtant évident. Ce n'est peut-être que la marque du temps.

Parcourant les larges allées menant aux temples, sous les arbres somptueux de la jungle à demi domptée, de petits orchestres jouent de leurs instruments traditionnels et proposent cassettes de CD au profit des victimes des explosions de mines. En y regardant de plus près, tous les musiciens sont estropiés.

En milieu d'après midi, notre dernière visite est consacrée à Angkor Vat, le plus grand et le mieux conservé, peut-être. Là, ce qui frappe, c'est l'espace, l'immensité. Un pont enjambe les deux cents mètres de douves qui entourent le site. La première enceinte franchie, nous découvrons un grand espace, libre de constructions, si l'on n'excepte les deux bibliothèques, de part et d'autre de cette allée centrale, espace au centre duquel se dressent les cinq tours du temple. Angkor Vat est fait de trois enceintes carrées et concentriques de niveau différent, formant une pyramide, un mandala. En général, à Angkor, plus nous avançons vers le centre des temples, plus nous nous approchons du saint des saints. Plus nous nous élevons et plus nous nous approchons du spirituel. Et les décorations, alors, se font plus riches et nombreuses. C'en est le principe de conception. Ici, c'est le Prasat, tour centrale, la plus haute, qui représente le Mont Menu, centre du Monde.

Chaque enceinte cache une longue galerie aux dizaines de seuils en enfilades. Elle est bordée de bouddhas assis en lotus, têtes absentes et parfois membres brisés, témoins de pillages successifs et encore actuels, plus que détérioration du temps, témoins, aussi, de la volonté de destruction des Khmers rouges. Sous la galerie extérieure ouest, ensoleillée en cette fin d'après midi, nous découvrons deux immenses fresques, bas reliefs qui content en détail de gigantesques batailles.

Les touristes attendent les derniers rayons du soleil qui parfois illuminent le temple de couleurs féeriques. Ce ne sera pas le cas aujourd'hui, mais nous ferons tout de même la photo.

Toute la journée, nous avons essayé de faire abstraction des milliers de touristes grouillant dans et autour des monuments. Je pense qu'il y a seulement dix ans, la calme et la beauté du site se ressentaient plus profondément. A chaque temple, une longue rangée de petites échoppes où les vendeuses hèlent les visiteurs, pour proposer tee-shirts, écharpes, sacs et autres souvenirs du lieu.

Notre chauffeur semble ravi de sa journée et sifflote sous son casque tout au long du retour.

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